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Les Carnets
de Josée Fiset

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Le ventre souverain

Dans la cacophonie nutritionnelle qui caractérise notre époque, s’il existe un point susceptible de rallier les carnivores, les végétaliens, les crudivores, les flexitariens et même les adeptes de la diète des cavernes (les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique), c’est le localisme ! En simple : manger local.

Si l’alimentation a le pouvoir de rassembler les hommes, elle sait aussi les diviser. Manger est plus que jamais une action citoyenne, une façon d’encourager des pratiques, de s’opposer à d’autres — comme les monocultures —, de s’enraciner, de se solidariser avec enfin l’espoir de produire un effet, une différence, sur le tissu social et sur son environnement.

S'alimenter est devenu un geste politique plus percutant que celui de voter. C’est bien entendu un acte biologique, mais aussi psychologique, social et sociétal. La somme de ce que nous mangeons, et de ce que nous ne mangeons pas, n’a probablement jamais produit un reflet aussi précis de notre identité et de notre relation avec la nature.

Notre communauté est partagée entre les adeptes de la malbouffe et ceux qui portent l’étiquette d’« orthorexiques », soit ceux dont la quête d'une parfaite hygiène alimentaire mène certains disciples à refuser de manger des légumes sortis de terre depuis plus de 15 minutes. Et entre les deux pôles, il y a tout un spectre de gris.

« Chez Première Moisson, explique Josée Fiset, cofondatrice de l’entreprise, on a décidé de travailler avec le gros bon sens, c’est-à-dire de privilégier un entre-deux judicieux, soit l’agriculture raisonnée. Et, autant que possible, le localisme. Quand on était petits, on ne mangeait pas de bleuets en février. L’hiver, notre alimentation était conditionnée par toutes les conserves qu’on avait pris soin de faire l’été et par les légumes racines entreposés. On faisait plus de plats mijotés et c’était loin d’être une punition. Mes frères et moi avons épousé les valeurs de notre mère, née dans une famille de 12 enfants, qui a été élevée sur une ferme, à la dure. »

Dans les cuisines actuelles de la boulangerie, les glaçages sont préparés avec un minimum de sucre de canne. Les agents de conservation et les colorants sont proscrits. Depuis le premier jour, les marinades et les confitures sont produites par des artisans locaux et le thé est majoritairement biologique et équitable. « Peu de gens le savent, reprend Josée, mais 70 % des ingrédients utilisés chez nous sont d’origine locale et 80 % des farines sont produites dans un très petit périmètre. Le blé est donc 100 % régional. Les autres céréales, comme le blé khorasan (communément appelé Kamut), sont importées des États-Unis parce qu’à ce jour pratiquement inexistantes sous nos latitudes. »

C’est au total 6000 hectares de terres québécoises fertiles — une étendue qui se compare à la superficie de l’île de Manhattan — qui sont chaque année dédiés à la culture de blés d’exception sous les auspices de Première Moisson. Ces assemblages de grains, élevés comme des grands crus et cultivés dans une démarche particulièrement soucieuse de l’environnement, produisent des farines qui sont exemptées du blanchiment et non traitées chimiquement.

La somme des ces initiatives agricoles est bonifiée par un partenariat avec une belle entreprise de chez nous : les Moulins de Soulanges. Finalement, les clients paient moins cher et mangent plus naturellement, deux conséquences positives directes du localisme. La démarche n’est pas si loin des dogmes des locavores, qui restreignent leurs approvisionnements à un rayon de 160 km (100 miles). Et les rigueurs de notre climat ne sont pas une excuse pour nous priver des richesses de notre terroir. Il existe plusieurs moyens pour en bénéficier à longueur d’année.

La santé, on le sait, est indissociable d’une alimentation vivante. Elle l’est aussi d’une alimentation émotionnelle, voire spirituelle. Ce n’est pas tout de s’alimenter, encore faut-il le faire avec un certain plaisir et même avec un plaisir certain.

« Il ne faut pas sous-estimer le fait qu’un aliment traité avec amour transmet ce qu’il contient à celui qui le prend », croit intimement Josée.

Un jour, peut-être pas si lointain, les champs de tabac qui étaient légion au Québec et qui ont peu à peu disparu de notre environnement seront semés, on l’espère, d’orge, de seigle et de khorasan.

Dans un avenir plus proche qu’on le pense, on veut le croire, on arrivera à se suffire en pacanes et en noisettes locales. En champignons aussi. En attendant, on peut rêver au jour où les kiwis, qui poussent bien au Québec, n’émettront plus cinq fois leur poids en co2, comme ils le font actuellement sur la route qui sépare l'Australie de notre assiette !

POURQUOI MANGER LOCAL ?

Parce que c’est bénéfique pour le consommateur, pour la planète et pour le développement de nos régions. Parce que les produits frais sont plus savoureux, plus nutritifs et exempts d’agents de conservation. Parce que ça permet de maintenir la biodiversité agricole. Parce qu’en réduisant la consommation d’énergie associée au transport, à l’entreposage et à la commercialisation des aliments, notre incidence sur la pollution de l’air et les changements climatiques se trouve minimisée. Parce que cette action réduit considérablement la consommation d’emballages. Parce qu’en achetant sans intermédiaire, nous instaurons un lien de confiance avec le producteur, nous pouvons être mieux informés et nous gagnons un certain pouvoir sur les aliments que nous consommons, en plus de contribuer à faire vivre ce producteur.

LE LOCALISME, C’EST QUOI ?

Une doctrine qui consiste à privilégier ce qui est local, sans se fixer de limites frontalières, afin de favoriser la démocratie participative, la cohésion sociale et l'économie de proximité, donc l'emploi local et la préservation de l'environnement via une empreinte écologique liée au transport de personnes et de marchandises moindre.

ON NE TROUVE PAS UN INGRÉDIENT LOCAL ?

On se tourne vers le biologique. Et si on cherche en vain un aliment biologique ? On se rabat sur un petit producteur (la ferme Machin plutôt que la multinationale X). Le petit producteur est absent ? Alors on se déplace chez un petit détaillant pour que l’argent reste dans la communauté. On ne trouve toujours pas ? On se tourne vers un produit du terroir (un bleu d’Auvergne, par exemple).

* Sachez que les étiquettes d’Aliments du Québec certifient que 80 % des ingrédients sont issus de chez nous.

LES DIVERGENCES ALIMENTAIRES NE SONT PAS NOUVELLES

Dans Les voyages de Gulliver, écrit en 1726, les habitants de Lilliput et de Blefuscu sacrifiaient 30 000 soldats et 40 vaisseaux sur la base d’une mésentente triviale : les Gros-Boutiens et les Petits-Boutiens ne s’accordaient pas sur l’extrémité à privilégier lorsqu’on entame un œuf à la coque. Le petit ou le gros bout ? Morale de cette histoire : tout principe risque de devenir problématique lorsqu’appliqué de façon excessive ou obsessive.

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