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Les Carnets
de Josée Fiset

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Le bonheur est dans le blé

La récolte du blé, c’est bien loin d’être un coup de faucille en septembre. C’est une science précise entièrement dédiée à la passion boulangère qui s’éveille en janvier et qui ferme un œil quelques jours en décembre, peut-être…

Au moment de la colonisation, la culture du blé constituait près des trois quarts des récoltes céréalières au Québec. Puis, plus rien, niente, nada ! Toute la production a migré vers les Prairies pour diverses raisons, mauvaises et bonnes, dont le climat. Mais depuis 3 ou 4 décennies, le petit épi refleurit dans la belle province. Et mieux. Dans la diversité.Mais ce n’est pas arrivé tout seul, par hasard.

« Si les blés ne viennent pas à toi, va aux blés. » Telle pourrait être la devise de Bernard Fiset, boulanger tenace et cofondateur inspiré de Première Moisson, qui s’entête depuis des années à redorer le blason des céréales locales pour honorer la mémoire du pain. Lui et Robert Beauchemin, meunier investi à qui Bernard attribue tous les mérites de leurs réussites céréalières, m’ont raconté des bribes de leurs parcours nourris de détermination et de réelles passions, tant pour le grain que pour le pétrin.

LE PAIN, VU DU DEDANS
« J’ai eu la chance d’apprendre à boulanger avec mon beau-père français, un vieil entêté merveilleux, parfaitement récalcitrant face aux farines industrialisées, raconte Bernard. Quand on a démarré la boulangerie, je voulais faire du pain “comme avant”, mais les farines auxquelles je rêvais n’existaient pas. Je voulais travailler avec des blés du Québec, des cultivars bas en protéines, sélectionnés pour leurs qualités gustatives et pour leurs arômes. Les blés que je trouvais étaient plantés pour leur docilité aux champs et leur rendement.

Je devais convaincre un minotier industriel de me vendre une farine non blanchie, non traitée et exempte d’additifs. Quand je l’ai approché, il m’a répondu que je ne pourrais jamais faire de pain avec ça ! Ça a pris du temps, mais je l’ai eue. J’ai voulu réduire encore les protéines, qui sont les amies des industriels, pas des artisans. Je n’ai rien obtenu de plus.

Puis, j’ai fait la rencontre de Michel Montignac. Sa manière de panifier la farine était révolutionnaire. Elle m’a mené à la création de notre pain intégral bio. Mais là, plus de compromis, ça me prenait une farine de notre terroir, avec notre identité.

Au même moment où je me tournais vers Robert Beauchemin, curieusement, Loïc Vandrin, un voisin agriculteur, débarquait avec une poche de grains de son champ de blé bio et me demandait de le tester. On est tombés en bas de notre chaise !

J’avais la tête au-dessus du pétrin, je respirais l’odeur et je n’en revenais pas. On était estomaqués. En plus, la capacité d’absorption de ce blé était incroyable.

On a appris ce jour-là qu’on pouvait produire de la qualité au Québec. La différence entre le blé albertain et le blé québécois est flagrante. Parce que les grains albertains ont été sélectionnés pour leur couleur, le pain obtenu est beaucoup plus blanc, sa mâche est beaucoup plus élastique et son goût, nettement moins prononcé.

En fouillant dans la génétique, Robert s’est trouvé à retenir à peu près tous les grains rejetés dans les Prairies. On a travaillé fort pour convaincre nos agriculteurs qui, à l’époque, n’y croyaient pas beaucoup. Après, on avait une quinzaine de boulangers dans nos commerces qui devaient réapprendre à travailler, à contrôler et à stabiliser une vingtaine de pâtes différentes en même temps.

Notre produit est devenu plus sain, moins polluant. Il a donné beaucoup d’oxygène à l’agriculture québécoise, à l’économie locale aussi. Le consommateur y a également gagné. C’est une avancée qui sert vraiment tout le monde. Et qui n’est pas finie ! »

LE PAIN, VU DU DEHORS
« L’agriculture pour moi, explique Robert Beauchemin, c’est une aventure qui a commencé en Angola au début des années 1970. J’étais parti y travailler pendant la guerre coloniale pour réintroduire une production agricole dans les zones libérées. Ça m’a profondément marqué de vivre en situation de guerre civile. On apprend vite à se débrouiller quand tout ce que l’on a, c’est de la chaleur, de la lumière, de l’humidité, un sol et des humains qui ont faim. C’est là que j’ai appris les fondements de l’agriculture biologique, avant que le terme existe.

De retour au Québec, quand j’ai commencé à produire mon blé, au ministère de l’Agriculture, on m’a dit : "Le blé alimentaire au Québec, ça ne pousse pas." Ils n’avaient aucune vision, aucun intérêt pour ça. C’était évacuer 200 ans de culture dans la vallée du Saint-Laurent et dans la région de Trois-Rivières, où les récoltes ont déjà été assez belles pour être exportées en France et en Angleterre !

La vérité, c’est que, mis à part aux Territoires du Nord-Ouest, les terres canadiennes sont toutes favorables à la culture de blés différents. Les blés d’automne, à longues fermentations, poussent bien dans la région de Lanaudière et en Estrie. Ceux qui concentrent de la force, pour faire des viennoiseries ou des bagels, on les trouve plus au nord. De l’Abitibi-Témiscamingue jusqu’aux côtes de la Gaspésie, chaque terroir a ses qualités, ses risques. Quand les récoltes sont désastreuses en Montérégie, elles sont bonnes au Lac. Pour avoir de la diversité et de la stabilité, il faut s’approvisionner partout.

Le blé aime une certaine sécheresse et des nuits fraîches. Le climat, le type de sol, la zone agronomique… chaque élément a une incidence sur la céréale, qui recèle une quinzaine de qualités boulangères.

Chaque nouvelle variété de blé qui voit le jour nécessite une quinzaine d’années d’études, et son aptitude à panifier est en général prise en considération seulement la dernière année. Nous, on a décidé d’inverser la machine et de partir des besoins de ceux qui font le pain, qui sont multiples.

Ça fait des années que l'on concentre nos efforts à cerner les variétés qui sont aussi bonnes au champ que devant un tablier. Aujourd’hui, une vingtaine de cultivars sont agréés.

Une récolte de blé, ça se prépare tout au long de l’année et ça commence avec le choix des semences. Il y a les variétés plus hâtives, plus tardives, puis il y a les dosages des semis, la fertilisation, la lutte contre les agressions, etc. La récolte, c’est le résultat de tout ce qui s’est passé avant. Chaque année est une boîte à surprise.

Dans l’Ouest, les conditions climatiques permettent la récolte d’un blé mûr. Pas ici. Si on récolte trop tôt, l’activité enzymatique est trop élevée, et si on attend trop, il n’y en a plus et le blé a commencé à germer. Au Québec, on doit le sécher, sinon le blé entreposé chauffe et fermente, ou il développe des maladies fongiques.

Il faut se rappeler que l’objectif d’un plant de blé, ce n’est pas de faire de la farine, c’est de se reproduire. C’est-à-dire de générer une semence qui va germer l’année suivante. Les plants ont un encodage génétique qui pousse le blé, au moment de sa maturation, à entrer dans une forme de dormance. Cette condition amène le grain à refuser l’absorption d’eau pour éviter qu’il germe au mois d’août et qu’il se préserve jusqu’au printemps suivant. Ces processus-là, on peut les observer et les gérer, mais il faut les comprendre.

Au moment de la récolte, le blé est fauché et battu pour le débarrasser de son enveloppe. Chaque camion de blé qui entre au moulin passe par le labo pour faire l’objet d’une cartographie de sa qualité. On vérifie son activité enzymatique, son taux de protéines, sa capacité d’absorption, sa force boulangère, sa ténacité, son comportement de fermentation, etc. Certaines caractéristiques vont favoriser une croûte plus croustillante, d’autres vont produire une mâche plus soyeuse, d’autres encore des arômes et des couleurs particuliers. Nos farines rassemblent de 2 à 5 variétés de blé différentes pour répondre aux besoins des artisans.

La meunerie, en fait, c’est simple, on écrase. C’est tout le travail qui est fait en amont qui importe. Et dans ce domaine truffé d’inconnues, il y a une chose qui est sûre : on en produit, de la qualité ! »

Par Céline Tremblay

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