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Les Carnets
de Josée Fiset

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Le grand classique

Debout. Devant un étal de jambons préemballés. Plein d’étiquettes, beaucoup de couleurs, des milliers de mots… Les subtilités avec lesquelles jouent les producteurs me laissent dubitative. D’où vient le jambon ? Comment est-il cuit ? De quels ingrédients devrais-je m’inquiéter ? En fait, qu’est-ce que je sais ?

Le monde de la charcuterie est en crise. Le consommateur se gratte la tête dans le rayon des jambons. Il s’inquiète pour son côlon. C’est vrai qu’il y a à peine une année, en France, haut lieu de la salaison, la députée verte Michèle Rivasi sortait la corne de brume pour dissiper le brouillard sur les nitrites, les accusant de donner naissance à des molécules avérées cancérogènes.

Les producteurs de jambon ont riposté en affirmant que le bannissement des nitrites ouvrait grand la porte à Clostridium botulinum, un bacille résistant à la pasteurisation qui sécrète dans des conditions de faible concentration d’oxygène — dans un emballage sous vide, par exemple — une des toxines les plus puissantes du monde vivant. Ouille ! Depuis, le brouillard s’est épaissi. Pas juste à Paris. J’ai demandé à Stéphane Fiset, cofondateur de Première Moisson et initiateur du volet charcuterie, de revenir sur les bases du jambon blanc. J’ai voulu jeter un peu de lumière sur l’ingrédient sacré du fameux jambon-beurre, cet emblématique sandwich parisien qui est en perte de vitesse (peut-on le croire ?) depuis peu face au hamburger qui se franchouillardise et qui détrône l’indétrônable.

Mais où va-t-on ? Que se passe-t-il ? « La charcuterie industrielle a mauvaise presse, et à juste titre, s’empresse d’affirmer Stéphane Fiset. Elle est devenue l’art de vendre de l’eau. L’eau ne coûte rien, la protéine vaut de l’or. Dans l’industrie, les extrêmes piètres qualités de jambon peuvent incorporer jusqu’à 70 % de saumure. Avec 100 kg de viande de porc, les plus malins (lire ici véreux) arrivent à vendre 150 kg de jambon ! Ça implique forcément un barattage abusif, qui, lui, mène à la purée de jambon et qui implique ensuite l’introduction d’une poudre de perlimpinpin : le phosphate, un inquiétant rétenteur d’eau. » Ouache.

« Dans nos cuisines, poursuit-il, on est à la recherche d’arômes et de saveurs ; l’eau est notre ennemie. On introduit environ 6 % de saumure dans un volume de 10 kg de jambon, et elle s’évapore à la cuisson ! Finalement, on se retrouve avec plus ou moins 9,9 kg d’un jambon qui culmine à un haut taux de protéine naturelle, soit 21 %. Et non, pas une poussière de phosphate n’est incorporée. » Ça doit bien jouer un peu sur le fait que l’entreprise porte le flambeau des ventes de jambon blanc au Québec.

Et Stéphane Fiset de revenir sur les bases limpides d’une charcuterie de qualité : travailler avec des muscles entiers – en l’occurrence la fesse de porc –, réduire au minimum le saumurage, bannir les phosphates et respecter les méthodes de fabrication traditionnelles, qui impliquent une cuisson hyper lente. À Première Moisson, le jambon blanc, essentiellement, c’est du porc du Québec désossé à la main qui provient exclusivement des Viandes du Breton*, du sel de mer, de l’eau, un peu de sucre de canne, du bouillon de porc, et du jus de citron ou du vinaigre. C’est tout.

Finalement, on parle ici de respect. « Si on fait du bon pain, souligne-t-il, c’est parce qu’on se soucie de la tradition et qu’on travaille le produit comme il se doit. On a toujours eu pour devise de faire le meilleur ou de ne rien faire du tout. En utilisant les meilleures matières premières possible et en les traitant correctement, on obtient un résultat à la hauteur de nos aspirations. C’est aussi vrai en boulangerie qu’en charcuterie. À cet égard, on doit saluer l’excellent travail de Jean-Marie Esnault, maître charcutier avec qui on a longuement collaboré. Cet homme de passion a le mérite d’avoir fait très peu de compromis. »

La texture du jambon blanc de Première Moisson parle d’elle-même. Ses stries témoignent de la forme du muscle intégral. Si on pouvait lire dans les lignes du jambon, on en distinguerait deux grosses, celles du cœur et de la tête, et puis un long long tracé de vie ! Parce qu’il n’est pas gonflé à l’eau, le jambon présente une texture peu élastique, et donc plus friable, et beaucoup moins gélatineuse que ses pairs industriels.

Les satanés nitrites maintenant. « La loi nous oblige à contrôler la prolifération des bactéries, précise M. Fiset, car il est prouvé que des bactéries spécifiques ont le pouvoir de se développer dans un milieu anaérobique. C’est un agent de conservation nécessaire. Personne n’est content d’en introduire, mais il nous préserve de pathogènes menaçants, comme le Clostridium botulinum. Cela dit, les normes sont précises, et on les applique au minimum. »

Première Moisson a développé en parallèle une gamme de charcuteries exemptes d’antibiotiques et de nitrites, mais elle a un prix. Encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. À preuve, elles représentent moins de 3 % de nos ventes charcutières. Un jambon de porc comme celui-là, en revanche, il faut le dire, n’a vraiment pas beaucoup de défauts.

De son côté, le traditionnel jambon rectangulaire ne s’est pas non plus assis sur ses lauriers. Au fil du temps, parce que la clientèle a lentement évolué, il a changé. Fini la couenne et la couche de gras qui nous ont déjà fait saliver dans le passé ; on ne les veut plus. Le pourcentage de sel a aussi chuté, et il est appelé à encore baisser. Évidemment, ces interventions ont une incidence sur le goût, mais les aspirations des Québécois ont migré vers d’autres ambitions.

Au Québec, le très parisien sandwich jambon-beurre a ses adeptes, mais le jambon- fromage sur pain ciabatta a un bon grand pas d’avance au rang des mieux aimés. Il faut un jambon ni trop fin ni trop épais. Des proportions juste comme il faut. Un peu de moutarde, peut-être un peu de laitue, ou pas. Son étoile ne faiblit pas.

On s’étend depuis tout à l’heure sur le jambon, mais il y a ceux qui préfèrent la dinde, c’est vrai. Même si le porc est roi au pays de la charcuterie, plusieurs communautés lui préfèrent les bœufs et les volatiles, moins impurs, en théorie…

La volaille a en tout cas étendu ses ailes sur le marché. La poitrine de dinde à Première Moisson bénéficie du même traitement que le porc. C’est-à-dire qu’elle contient moins d’eau que celle de la concurrence, et plus de protéines. Avec le même respect, les poitrines entières sont cuites sous vide dans leur bouillon pour bien en développer les arômes. Finalement, c’est du jambon de dinde qui donne peut-être meilleure conscience, avec toutes les polémiques qui courent sur la consommation de viande.

Comment ça va évoluer encore, tout ça ? La boule de cristal est embuée. Mais une chose est sûre : il est venu le temps du jambon raisonné !

* Dans l’industrie du porc, Les Viandes du Breton a été la première entreprise nord-américaine à obtenir la certification Certified Humane Raised and Handled® de l’association Humane Farm Animal Care.

gros jambon

Les habitants de Salies-de-Béarn, une petite commune française située entre Pau et Bayonne, sont mignons. Ils racontent qu’un sanglier, blessé par des chasseurs au XVIIe siècle, serait abouti dans un marais salant. Ils disent de ce pauvre ancêtre du cochon, retrouvé quelques jours plus tard agonisant sous une croûte de cristaux blancs, qu’il aurait marmonné avant de trépasser : « Si you n’y éri mourt, arrès n’y biberé », « Si je n’y étais mort, personne n’y vivrait ». C’est assez pour qu’un sanglier figure sur les armoiries de la ville et pour qu’on y revendique une part de la paternité du jambon français. Et Paris, qui se croit le nombril du jambon blanc…

notre dinde

Ramené en Europe par les conquistadors espagnols en 1521, lors de la conquête du Mexique, que l'on croyait alors être les Indes, ce gros oiseau a pris le nom de « poule d’Inde », « coq d’Inde » et « poulet d’Inde ». À la fin du XIVe siècle, les termes ont été abrégés et le mot dinde s’est trouvé appliqué tant au féminin qu’au masculin.

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