Le petit coco
Il y a un temps pour un filet d’huile de truffe, pour un alignement de trois petits pois et pour des pousses de radis fancy. Il y a plus souvent l’envie, voire le besoin, d’une chaleur, d’une saveur qui ramènent à la base de notre histoire. Je veux dire du pain, des œufs et du bacon !
Mon frère m’appelle. « Ton BLT, coudonc, tu le fais comment ? Je veux dire quelle sorte de pain ? » Je n’ai pas le temps de répondre qu’il enfile : « Tu le grilles, ou pas ? Et puis la laitue… J’ai juste de la roquette. Ça le fait, la roquette ? Pas vraiment hein ? En fait, ma vraie question, c’est pas le bacon en tout cas, quoique je pense en avoir trop, c’est surtout la mayo… Mets-tu de la moutarde, toi, avec la mayo ? » La vérité, c’est qu’en rien je ne suis la pro du sandwich à déjeuner, mais un matin, ça fait deux ans au moins, mon frère est arrivé chez moi, le caquet un peu bas. Il faisait froid et ça s’est adonné que j’étais en train de cuire des œufs, frais de la veille à la ferme, juste comme il faut. Les jaunes étaient gonflés à bloc sous leur dôme tendu et menaçaient d’exploser illico. Les blancs frissonnaient encore dans la vieille poêle en fonte de mon oncle Lucius quand je les ai fait glisser entre deux tranches d’un pain brioché que j’étais sur le bord d’oublier. Quelle laitue ? Sais plus. De la moutarde ? Je ne vois pas pourquoi j’aurais ajouté ça. Une bonne tranche de tomate de champ, ça oui ! C’est probablement le souvenir d’une chaleur, d’un timing, d’une présence qui a construit le mythe d’un « déjeuner-perfection ». Le dernier que j’ai mangé, ce n’était pas à la maison. C’était à Première Moisson. Le petit coco, qu’ils l’appellent. Il ne faisait pas froid, j’étais toute seule et je n’avais pas le caquet bas, mais quand j’ai soulevé le moelleux petit pain viennois — dont la mie m’a fait la surprise d’être parsemée de morceaux bacon et de cheddar —, mon plaisir n’était pas loin de ce souvenir-là. Le contraste chaud-froid, la simplicité d’une association de produits frais que je connais déjà, ma foi, j’avais juste envie de ça.