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Les Carnets
de Josée Fiset

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Le TV Dinner ou la petite histoire d’un mariage à quatre : bouffe, ciné, amis et familles

Les élans d’amour des foodies pour le divertissement remontent à bien avant l’invention de la télévision. Ces plaisirs si peu coupables, qui gavent en symbiose le corps et l’esprit, sont l’expression quasi ultime de la détente. Ils célèbrent la convivialité à travers un inépuisable partage d’histoires. De nos histoires, bien sûr, mais aussi de celles des autres. Plus vieux que vieux.

Les élans d’amour des foodies pour le divertissement remontent à bien avant l’invention de la télévision. Ces plaisirs si peu coupables, qui gavent en symbiose le corps et l’esprit, sont l’expression quasi ultime de la détente. Ils célèbrent la convivialité à travers un inépuisable partage d’histoires. De nos histoires, bien sûr, mais aussi de celles des autres. Plus vieux que vieux.

Meilleur qu’une dinde décongelée.

Il y a quelque chose de rassurant mais de légèrement dérangeant dans ce classique qu’est le TV Dinner. Du moins, dans celui de ma jeunesse. L’annonce de sa consommation me laissait présager un repas semblable à celui qu’on m’aurait servi dans un repère en préfini campé à deux jets de pierre de la sortie de l’autoroute, ce genre de resto relié à une station-service, bondé de touristes qui s’arrêtaient en chemin pour déguster une cuisine deux étoiles et demie dans un cadre d’une étoile et demie.

Pour le gamin que j’étais, même si les saveurs étaient classiques, le TV Dinner s’avérait totalement exotique. C’était un peu comme déballer un cadeau de Noël comestible tout en regardant mon émission de télévision préférée ou, plus souvent, celle de mon père. Papa adorait La soirée canadienne. Un show de sets carrés le samedi soir avec des mononcles qui tapaient du pied à grands coups de « Ô-gué ô-gué ziguedondadondé ». La seule façon de faire ingurgiter à un enfant de 10 ans l’anachronisme de ces veillées d’antan était de poser sur ses genoux la modernité et la simplicité d’un TV Dinner. Inversement, pour mes parents gastronomes, le seul et unique moyen d’engouffrer le contenu réchauffé de la barquette compartimentée était de le faire les yeux rivés sur la jupe en courtepointe d’une madame de Shipshaw entonnant « Ma-ri-an-ne-s’en-va-t-au-mou-lin ». Faut le dire : les TV Dinners ont beaucoup évolué depuis et, heureusement, la télévision aussi.

Tout porte à croire que les origines du TV Dinner remontent à la naissance de la tradition orale et au moment fortuit où le feu, la langue et la nourriture sont entrés en collision il y a des milliers d'années. Les histoires racontées dans la lueur mourante d’un brasier qui a transformé une carcasse durement gagnée en un repas longuement espéré étaient aussi essentielles que divertissantes. Les flammes ont été les premières danseuses admirées par des spectateurs repus.

Maintenant, revenons plus près de notre époque, au moment fascinant où se sont superposées l’invention de la télévision et celle du dîner compartimenté industrialisé, que certains associent volontiers à la naissance d’un groupe alimentaire entièrement nouveau : le repas-minute.

Aluminium contre ironie

C'est l’impie ménage à trois de l'annihilation nucléaire, de l'idolâtrie vouée aux commodités modernes et du besoin constant de rationaliser notre style de vie qui a donné naissance aux premiers plateaux télé. La légende raconte que Swanson’s & Sons a créé la version archétypale de son plateau en aluminium à partir d’un wagon plein de dindes congelées invendues. Mais au-delà de l’invention était la nécessité de l’inventer. Les années 1950 ont été marquées par les transformations sociétales, politiques et scientifiques : la bombe nucléaire, la peur rouge, les contraceptifs, le rock and roll, le hula-hoop et la croissance explosive de la télévision en tant que vecteur de divertissement populaire. Comme c’est la télévision qui a amené la plupart des névroses d’actualité dans nos foyers, il était légitime que ce soit aussi elle qui propose un divertissement afin de réduire le rythme toujours croissant de nos vies et d’apaiser la menace d'être bombardés dans notre sommeil. La télévision se substituait au feu de joie et les émissions de télévision remplaçaient les histoires racontées autour de lui. Célébrer cette nouvelle ère ne pouvait se faire qu’en consommant des aliments aussi instantanés et jetables que le contenu diffusé à la télévision.

Je me souviens de mon premier TV Dinner. Sous la couverture en aluminium fine et froissée se cachait une portion de dinde nappée de sauce, des petits pois et du maïs, de la purée de pommes de terre (ou un fac-similé farineux, mais je n’y voyais que du feu) et une inappropriée compote de pommes chaude. Retirer la couverture métallique était une aventure en soi. Bien que chaque composante de ce repas gastronomique ait été conçue pour se voir isolée dans le compartiment qui lui avait été attribué, le transport et la manutention amenaient des réorganisations des plus créatives, et le plus souvent, c’est la compote de pommes qui prenait le plus d’initiatives. Déception ? Bien non ! Je regardais La soirée canadienne, EN MANGEANT. Tra-la-lère ! Si cela semble tout sauf extraordinaire, repensez à la première fois où vous avez fait un appel sur un téléphone portable : un geste incongru, excitant, débridé. Un potentiel illimité. Pour mon repas, c’était la même chose, mais avec de la compote de pommes réchauffée.

La transformation du plateau

La simplicité et sans doute la naïveté du plateau télé des années 1950 ont évolué avec le progrès de la technologie alimentaire et celui du contexte culturel. Les consommateurs éduqués ont demandé et ont reçu le raffinement auquel aspiraient leurs palais : des repas exotiques, des régimes étudiés, des préparations à faible teneur calorique et des plats adaptés pour le micro-ondes. Des menus familiaux préemballés complets, incluant déjeuner, dîner et souper pour un mois, sont même devenus réalité. Tout cela ayant pour but de répondre à notre besoin de détente, de convivialité et de familiarité, tout en partageant les rires, les larmes ou les peurs télédiffusés dans nos demeures nuit, après nuit, après nuit.

La programmation télé a également considérablement changé et, bien qu’elle jouisse d’une ère dorée avec son contenu de haute-voltige faisant écho à la moralité et aux valeurs de ceux qui les regardent plutôt qu’à celles d’un annonceur crispé, terrifié de s'aventurer hors de sa zone de confort, il semble qu’ironiquement se soit perdu le sens premier de la fusion entre divertissement et bombance, soit l’« être ensemble ». Le cercle se trouve en effet très imparfaitement fermé, comme en témoigne la mutation la plus moderne du TV Dinner au 21e siècle dans les banlieues affamées. Les transports en commun sont les derniers bastions des TV Dinner… et pas les plus jolis. Dans les bus où les gens jadis s’asseyaient et discutaient pendant que d’autres penchaient tranquillement le front dans un livre, les usagers ont dorénavant le nez faiblement éclairé par la lueur de leurs téléphones. Bien malin qui sait ce qu’ils regardent ou ce qu’ils écrivent. Ils publient peut-être une photo de leur déjeuner cellophané ou de leur gobelet de café griffé sur les réseaux sociaux… mais quoi qu’ils fassent, ils le font en solo.

Un pas en avant vers le passé

Alors, sommes-nous condamnés au rôle de prisonniers dans un monde de minuscules écrans, nourrissant de minuscules esprits, devant de minuscules repas, en route vers de minuscules emplois dans un univers d'ambition et d'ambiguïté démesurées ? Bonne question. Les téléphones intelligents sont géniaux. Le contenu qu’ils diffusent en continu aussi. J’ajouterais que même certains petits-déjeuners préemballés parviennent à nous faire saliver. Mais il nous faut renouer avec ces jours naissants de l’humanité, avec cette nourriture braisée qui a attisé le feu de nos imaginaires.

L’objectif étant de redonner à nos moments de plaisir et de détente un statut respectable et de renouer avec le principe voulant que la préparation d’un repas communautaire soit source de divertissement autant que d’échange humain. Repartons à zéro, puis diffusons nos contenus favoris en savourant chaque bouchée, chaque dialogue. Faisons-le surtout avec d'autres, pas tout fin seul dans une bulle avec une demi-douzaine d'épisodes de The Alienist. Super série, soit dit en passant, mais pas tellement recommandée en tant que seule invitée. Il y a quelque chose dans le geste de trancher, d’émincer, de griller qui s’approche du bonheur. Bien sûr, mettez l’activité culinaire en veilleuse si vous passez en rafale 7 saisons de Pretty Little Liars ou si vous vous allongez devant une rétrospective des œuvres de Ken Burns, mais optez pour une nourriture à la hauteur de votre divertissement.

Rappelez-vous que l’amitié ne fait pas engraisser et est bonne pour la santé. La série sera toujours là si vous ne la finissez pas !

Inspirer

La matière La soupane revival l’avoine (flocons) La mise en scène L'assemblage cet art subtil

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