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Les Carnets
de Josée Fiset

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Profession : confiturière particulière

La baguette française figurera vraisemblablement bientôt sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, au même titre que le Taj Mahal et que l’œuvre architecturale complète de Le Corbusier. Dorénavant, avant de lui scier le corps sur toute sa longueur, puis en petits bouts pour en faire des petites barques alvéolées de choses sucrées, ça va prendre des confitures rrrrroyales, Madame, Monsieur !

Au moment de sa fondation, en 1992, Première Moisson était une boulangerie de quartier, un espace de partage. « Au-delà du pain, qui a toujours été notre raison d’être, se souvient Josée Fiset, on préparait nos charcuteries, on servait des viennoiseries, et puis du miel et des confitures pour accompagner les fournées. On ne voulait pas de préparations épaisses remplies de pectine. On aimait les confitures plus liquides, très peu cuites, avec des fruits en morceaux, comme celles que préparait ma grand-mère. »

Le hasard a bien fait les choses. À Vaudreuil-Dorion, leurs voisins avaient une vision analogue. Ils cultivaient la terre et préparaient des confitures par petits lots à partir de leurs récoltes. Il a suffi d’un échange de quelques mots pour qu’un vrai produit du terroir soit mis en chantier, empoté à la main, étiqueté à l’unité et cuisiné comme à la maison, dans plusieurs petites casseroles plutôt que dans des « piscines » industrielles. Ensemble, ils ont développé une collaboration longue et précieuse. Aujourd’hui, c’est pas moins de 60 000 pots de confitures qui sont emplis annuellement, un à un, à la louche. « À l’origine, c’était Guy [Geoffrion] qui portait le tablier et qui cuisait ses récoltes en saison, raconte Lucie Déziel, confiturière. Dix ans plus tard, mon arrivée a coïncidé avec des besoins multipliés. On a fait des choix, pas toujours les plus payants, mais on sait qu’on n’a pas fait de compromis sur la qualité. »

Le temps a fait la preuve que c’est en « confiturant » qu’on devient confiturier et que l’art de la confiture repose sur le choix d’un fruit avec pour objectif d’optimiser sa saveur, sa consistance et sa conservation.

LA SAVEUR
Fraises, framboises, bleuets, canneberges, rhubarbe : la majorité des confitures qu’ils produisent sont des classiques. « On privilégie autant que possible tout ce qui est local, précise Lucie. Nos bleuets sauvages nous viennent du Lac-Saint-Jean, et leur saveur est à faire pâlir d’envie ceux de la Californie. Les fraises avec lesquelles on cuisine sont des variétés d’automne, plus favorables à la cuisson, et on s’approvisionne chez deux producteurs du côté de Joliette et de Saint-Grégoire. » Chaque petit fruit que l’on cuit est à son apogée, parce que mûri sur le plant, et congelé au moment de la récolte. Dans les marmites, ça frémit toute l’année. « Un fruit congelé donne de meilleurs résultats à la cuisson qu’un fruit frais, souligne-t-elle, car il fond plus facilement. » Alors qu’elle cause volume, chimie et constance dans la cuisine où sont alignées plusieurs cuisinières domestiques, on se croirait plutôt dans un commerce de petits électroménagers.

LA CONSISTANCE
Nos ancêtres, qui n’avaient pas recours à la réfrigération, cuisaient en général les confitures avec beaucoup de sucre, très très longtemps, jusqu’à ce qu’elles aient une consistance très épaisse et une teinte foncée. De cette manière, ils s’assuraient de la complète évaporation d’eau dans les fruits et donc d’une longue conservation, sous réserve de bonnes conditions de stockage dans des contenants parfaitement hermétiques. « Ce n’est pas pour rien qu’on appelle ça "jam" en anglais, indique la confiturière, c’est parce que c’est "djammé". Ce n’est pas ce que l’on cherche. On veut goûter le fruit, plus près de sa fraîcheur. La pectine — du grec "pectos”, signifiant "figé", "rigide" — est le plus souvent extraite du marc de pommes séchées. Elle permet de cuire les fruits un peu moins longtemps et de conserver leur belle couleur, mais elle représente une autre forme de sucre et on cherche à la minimiser. Celle qu’on utilise est importée d’Allemagne, parce que, étonnamment et malheureusement, bien qu’on soit les rois de la pomme chez nous, on ne produit pas de pectine de qualité ! »

LA CONSERVATION
On cherche donc à conserver, mais en diminuant le sucre. Dès lors que l’on coupe le sucre et que l’on raccourcit le temps de cuisson, on compromet la longévité de la confiture, et cette dernière doit être réfrigérée après qu'on en ait ouvert le contenant. Le sirop d’érable est une belle solution pour remplacer le sucre raffiné, et la congélation, une bonne option lorsqu’on souhaite une diminution substantielle des édulcorants dans les confitures. « Dans nos cuisines, tout est pesé ; la température et le taux d’acidité sont minutieusement vérifiés. Le secret consiste à cuire fruits et sucre à quantités égales, et pas trop longtemps. Mais je vous invite par-dessus tout à congeler vos fruits pour préparer des confitures en janvier. Il n’y a pas grand-chose de mieux que l’odeur des fraises ou des framboises qui mijotent pour se rappeler la fugacité de nos étés. »

« La culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale. »
— Françoise Sagan

LES MOTS POUR LE DIRE
Dans le commerce, le terme « confiture » a été normalisé. Peu importe le fruit utilisé, la loi stipule qu’une confiture doit comporter au moins 66 % de sucre (incluant le sucre naturel des fruits) et un pourcentage minimum de fruits, soit 45 % pour la première catégorie et 27 % pour la seconde, qui portera la mention « avec pectine ». Lorsqu'un produit n’atteint pas la norme de sucre exigée, l'industrie utilise le terme tartinade, qui n'est pas régi. Quant à la mention « sans sucre ajouté », le sucre a généralement été substitué par du fructose, du jus de raisin concentré, qui confère aussi un goût sucré.

LE PAIN PARFAIT
Contrairement à une tranche de pain tirée d’une miche, qui laisse échapper les liquides par ses alvéoles, la baguette découpée en deux sur le sens de la longueur permet à la croûte d’agir comme une coquille et de retenir la confiture qui se faufile dans la mie. Avec sa croûte juste assez sèche et épaisse et sa mie juste assez humide et abondante, la baguette est la meilleure amie de la confiture : chaque bouchée offre la juste proportion de craquant, de moelleux et d’onctueux.

LA FRAMBOISE EN CHIFFRES
Avec 503 hectares de superficie de culture, le Québec se classe bon deuxième producteur de framboises au Canada, après la Colombie-Britannique. Plus de 1300 tonnes de fruits y sont récoltées chaque année et génèrent des recettes de plus de 8 millions de dollars.

DES MARIAGES HEUREUX
Lucie Déziel, fidèle confiturière pour Première Moisson, multiplie les combinaisons gustatives. Dans sa sauce à salade, par exemple, elle mêle vinaigre balsamique, huile et confiture de bleuets. Pour remplacer l’impérissable accompagnement des rouleaux impériaux, la sauce-aux-prunes-pas-de-prunes, rien n’égale une bonne confiture de cerises de terre. Accros au sucré-salé : faites l’expérience de deux associations étonnantes sur des craquelins. La confiture de bleuets avec du fromage à la crème au poivre, et les confitures aux poires et aux canneberges avec du foie gras… Mioum.

Par Andrée Fortier

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