Triticum spelta ou le « blé des gaulois »
SA NATURE : Un grain cuirassé, farouche et endurant. Une toute petite parcelle de matière qui a du caractère et une impressionnante lignée céréalière. À côté de l’épeautre, le blé est un combattant insignifiant sur lequel je ne parierais pas deux sous en duel. C’est bien l’épeautre qu’on a moulu et pétri pour faire du pain en Égypte, bien avant la construction des pyramides. C’était bien avant que ma grand-mère ne soit née. D’ailleurs, je doute que mémé ait jamais eu le plaisir de mettre la main à l’épeautre ! On a entendu de sa boulange qu’elle relevait du sport extrême. C’est vrai pour son cousin, le « petit épeautre », ou « engrain ». A contrario, la manipulation de triticum spelta ne se compare en rien à une descente en radeau sur l’Amazone. Mais, pour certains, elle est aussi gratifiante.
SA RENAISSANCE : Après qu’il ait nourri l’humanité pendant plus de 5000 longues années, on lui pardonnerait volontiers de dormir tranquillement sur ses lauriers. Mais l’humble épeautre garde le poing levé. Des centaines de milliards de miches fumantes plus tard, ce savoureux secret bien gardé entrevoit enfin la reconnaissance. Et même un petit rayon de célébrité ! Finalement, l’épeautre a gagné sa place au soleil, mais ironiquement, lui conviennent mieux les sols pauvres et les environnements tempérés. Célébrons en tout cas le retour prometteur de ce pionnier du pain perdu, de l’indomptable aux mille vertus. Mettons de côté pour un temps ce qui constitue notre pain quotidien et laissons-nous porter, et peut-être un peu chahuter, par l’excitante épopée de sa résurgence.
SON ARMURE : On serait tenté de qualifier l’épeau-tre de blé ancestral. Sa généalogie rend ça plus compliqué, un peu. Pour accentuer le flou de son identité, on le surnomme « blé des Gaulois », car les peuplades de la Gaule l’utilisaient pour faire du pain et… de la cervoise ! L’épeautre est donc un grain plus volumineux et plus enrobé que son petit cousin. Son enveloppe représente à elle seule 30 % de son poids total. Imaginez que vous vous trouvez nez à nez avec un grizzly affamé, et qu’il a deux gros parkas à traverser avant de pouvoir vous croquer. L’enveloppe de l’épeautre, c’est un peu ça. Ce n’est pas invincible, mais la barrière complique et allonge les choses. Cette citadelle est un ravissement pour les producteurs biologiques.
SON TRÉSOR : Sous sa cotte de mailles, l’épeautre renferme toutes sortes de choses bonnes pour la santé. Une portion de 100 grammes d’épeautre — ne me demandez pas à quoi ça correspond en nombre de bouchées de pain — fournit jusqu’à 20 % de la valeur quotidienne recommandée en termes de protéines et de fibres, de vitamine B et de minéraux essentiels. Et il fournit tout ça en maintenant une faible teneur en gras. En prime, le grain ancien veille sur vos intestins. Son seul défaut (certains diront que c’est une qualité) : il ne se laisse pas manipuler facilement. Comme il ressemble à de l’orge une fois décortiqué, il vaut mieux le travailler comme on le fait avec la farine de blé entier, c’est-à-dire avec un peu plus de levure et moins de pétrissage. De plus, la pâte fabriquée à partir de farine d’épeautre tend à s’étendre plutôt qu’à gonfler, donc ajoutez-y moins d’eau et faites cuire dans un moule à pain pour vous aider à garder la forme de votre miche. Sinon, votre projet de boulange risque de tomber à plat, comme une joke de papa.
SON TERROIR : Première Moisson utilise la farine d’épeautre biologique produite par La Milanaise, une meunerie locale qui s’approvisionne en grains auprès des producteurs québécois. Faire pousser et récolter cette céréale venue du fond des âges n’est pas une mince tâche. Heureusement, le climat frais et relativement pluvieux du Québec convient
parfaitement à la culture de l’épeautre, contrairement à celui des Prairies canadiennes, plus propice à la culture du blé. C’est un fait avéré : contrairement à nous, l’épeautre ne se plaint jamais du froid ni de l’humidité. L’épeautre : un grain qu’on ne prend pas à la légère.